vendredi 29 mars 2024

La lecture en réseau

Compte-rendu de la conférence de Catherine Tauveron, professeur émérite des universités, spécialiste de la littérature à l'école, sur la lecture en réseau.
L'expression ne figure pas dans les programmes, mais l'esprit y est. Définition: ce n'est pas le regroupement lâche via un thème qui donne seulement une apparence de cohérence à un ensemble de textes. Il s'agit, grâce à un groupe de textes, de développer une
compétence particulière chez l'enfant :
  • se construire une culture,
  • conscientiser les stratégies de construction du sens par le lecteur
Première fonction de la lecture en réseau : la fonction culturelle. La lecture en réseau sert à connaître un genre, son cahier des charges, les références nécessaires pour le comprendre (son cadre cognitif d'accueil), elle permet de reconnaître la violation des règles du genre, d'anticiper sur la fin du récit. Sans ces connaissances, le plaisir du texte est remplacé par la souffrance de ne pas le comprendre.

A. Construire des corpus comparatifs

Il s'agit d'opérer des aller-retour entre des textes présentant un même problème de compréhension, et de permettre aux enfants de saisir quelle est la stratégie pour résoudre ce problème en particulier.
C'est un apprentissage organisé et raisonné de la compréhension.
Construire des corpus
Genre de texteFonctionnementLeçon de lecture
Textes à leurreDes indices entraînent vers une fausse piste, ce qui est compris au début n'est pas ce qui est compris à la fin.Il faut savoir remettre en cause sa lecture.
Textes à point de vue
insolite (non humain)
Comporte des non-dits à remplir, d'une seule manière ou de plusieurs manières possibles. Conscientiser ce mécanisme endemandant de formuler tous les résumés possibles.Montrer que le texte est riche et que le sens se construit entre le lecteur et le texte.
Récits symboliquesL'histoire veut dire autre chose que ce qu'elle raconte.Apprendre que c'est possible et comment percevoir ce fonctionnement.
Textes dont le rapport
à la vérité est plus ou
moins grand
Comment mesurer le degré d'adhésion du locuteur à son propos. Apprendre à détecter ce qui est fiable ou non.
Expl : corpus de personnages (souvent
présents dans les contes de ruse)
vantard/naïf/stupide/ fabulateur/affabulateur/ironique/manipulateur
Etude des intentions et des buts du
personnage
Ne pas tout croire, entrer dans l'ère du soupçon.

B. Organiser la progression

Veiller à ce que les textes présentent vraiment le même problème narratif (ce n'est pas simple, on ne peut rabattre la question sur celle de la thématique commune). Puis organiser leur lecture selon une progression :
Aller du plus complexe au plus simple, qui va apporter des éléments de résolution du problème posé par le premier texte.
Expl : album complexe
Papa de Corentin : scandale cognitif du dispositif des rêves croisés, non dit du rêve... Pour mieux comprendre on peut lire Il y a un cauchemar dans mon placard puis revenir
à Papa. Le second album montre que le rêve est un rêve, dans Papa, tout est implicite.
Faire lire tous les textes du corpus, puis construire le sens par comparaison.
Rascal : Moon, Voyage d'Oregon, La route du vent, Fanchon
Le thème du voyage, présent à travers des voyages concrets dans les trois premiers textes, permet decomprendre plus facilement la portée symbolique du voyage intérieur dans
Fanchon, récit hermétique et métaphorique : le personnage s'accomplit en grandissant.
Cette démarche ouvre à la lecture de récits mythiques comportant un voyage symbolique (Odyssée)

C. Un exemple de réseau au long cours « idéal »

Les programmes invitent à travailler le personnage-stéréotype et proposent le thème du monstre. Le monstre n'est pas un personnage stéréotype, il change de forme et de rôle sans cesse. Il faut resserrer le thème : l'ogre ou le loup sont des stéréotypes. Saisir le loup comme indicateur génériqu e ; personnage témoin d'une évolution culturelle notable ; vecteur de valeurs et contre-valeurs; objet d'investissement psycho affectif intense et ambigu.Personnage dont on peut montrer qu'il est le pivot de genres multiples (contes d'avertissement, de ruse, récit horrifique, comédie de boulevard, drame domestique, aventures burlesques, histoires d'amour troubles...). Il ne cesse de changer de statut et de stature. Il suscite l'inquiétude, la peur, le scandale, le rire, la pitié  du lecteur.
Dans la forêt, lieu de terreur, de tous les possibles, de la démesure, et des créatures inquiétantes, le loup (-garou) incarne la peur d'être dévoré et de dévorer, il renvoie à l'animalité qui est en nous.
Perrault, Le petit Chaperon rouge
Daudet, La Chèvre de M. Seguin Mais historiquement, une image plus variée et parfois positive du loup se dessine.
Sous sa forme féminine: la louve romaine.
En Turquie: il incarne la fertilité
En Egypte: c'est un guide vers le paradis, il représente la ténacité, le courgae la vertu guerrière
Au moyen-âge il figure sur les blasons des chevaliers, associé à des valeurs positives. Gengis Khan a le loup bleu comme ancêtre céleste. Son image négative se fonde sur d'autres apparitions : Zeus punit Lycaon de son anthropophagie: il le transforme en loup-garou.
Chez les Viking : Fénir le loup peut détruire le monde
A partir du moyen âge, on use de la métaphore du berger pour le Christ, en lutte contre le loup diabolisé qui vient dévorer les moutons. Le loup héros comique ou négatif: envers du loup menaçant. Ysengrin dans le Roman de Renart
10 contes de Loup (Nathan poche): le loup est toujours un personnage malheureux
Les trois Petits cochons
Fables de La Fontaine : Le Lion, le loup et le renart ; Le Renart, le bouc et le cheval
; Le Loup et les bergers, le personnage est plus souvent négatif que puissant comme dans le
 Loup et l'agneau.
Le petit Chaperon rouge des Frère Grimm présente 2 loups rusés qui finissent mal. Les loups littéraires contemporains illustrent la diversité des figures du personnage.
  • Loup fort et dangereux
Blathazar, Pennart
Ami-ami, Rascal
Féroce, Chabas et Sala (plus de dévoration cependant)
  • Loup négatif ou trompé
On y observe une inversion des rôles : l'agressé devient agresseur, l'agresseur est impuissant.
Le petit Chaperon rouge, Roald Dahl
La bergère qui mangeait les moutons, Alexis Lecaye et Nadja , L'Ecole des loisirs.
Les Contes du chat perché,  M. Aymé
Chaperon bleu marine, Dumas et Moissar
La culotte du loup, S. Servant
On assiste à une subversion du personnage: il ne veut plus « être le loup », s'humanise, se civilise, voire s'embourgeoise (vaudeville dans « c'est moi le plus fort »). Le système de valeurs à complètement ch angé, le personnage est dénaturé, mutant.
Jean Loup, A Krings
Sacré sandwich ! Ch. Voltz
Le Loup, la chèvre et les 7 chevreaux, Geoffroy de Pennart
C'est moi le plus fort, M. Ramos
  • Loup dépressif :
Le loup qui vouait être un mouton, M. Ramos
Le Grand loupgoudou et le chaperon rouge, Jean-PierreKerloc`h
La soupe aux cailloux, T Ross

Conclusion

Le réseau d’œuvre autour du personnage du loup est proprement immense, le personnage évolue depuis les légendes, les valeurs portées par lui se transforment, les sentiments provoqués aussi.
La crise du personnage du loup n'est pas le dernier stade de l'existence du personnage, qui va
continuer à se modifier. 

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